La Compagnie des Mots
C'est une chose que de publier un livre, même populaire. C'en est une autre que de se sentir écrivain.
En arrivant hier soir, le 1er avril 2014, à l'auberge du Cheval Blanc de Carouge où se réunit l'auguste Compagnie des Mots, je ne me sentais pas écrivain, mais «éditeur-essayiste qui a écrit un roman». En la quittant deux heures plus tard, je l'étais devenu. Révélation soudaine? Non. Qualité extraordinaire de l'accueil et de l'écoute.
Un passage en revue bienveillant, mais taquin, de ma biographie avec Serge Bimpage. Quel est le fil rouge d'une existence? En particulier, d'une existence en chou-fleur comme la mienne?
Une fine lecture du «Miel» par Pierre Béguin, à la fois érudite et concrète, qui m'a fait entrevoir tout ce que mon propre livre révélait à ses lecteurs, et dont l'auteur était le dernier informé. Aurais-je jamais pensé, moi, que le modèle narratif de mon histoire balkanique remontait à Manon Lescaut?
Une fantaisie rhétorique sur le thème du miel par Vincent Aubert qui n'avait rien de mièvre ni d'irrespectueux…
Des questions pertinentes, graves et justes, enregistrées et postées de l'étranger par un absent - Jean-François Berger - qui avait consacré une partie de sa vie aux Balkans et qui pour qui mon livre était tout sauf un divertissement frivole. Des questions qui réclamaient de bien réfléchir avant de répondre.
Des lecteurs, enfin, qui venaient me parler des liens qu'ils avaient pu établir entre ce bref roman et mille expériences de la vie et de la mémoire.
Je suis resté bouche bée sur la scène, devant un public plongé dans l'obscurité, que je devinais amusé mais attentif et infiniment respectueux. Voici un antre où l'on parle vraiment des livres. De leur substance, de leur place en littérature et dans la vie, du sens qu'ils ont pour ceux qui les écrivent et ceux qui les lisent. Il y avait là Jean-Michel Olivier, et puis tel professeur, et puis tant de personnes inconnues qui, comme moi, se nourrissaient de livres plutôt que d'en arracher des coins de page pour se curer les dents.
Je n'ai bu que deux verres de gamay genevois, et pourtant je suis reparti ivre. Ivre de la bonne ivresse: celle de la communion, trop rare, avec autrui, qui nous rappelle que la lecture est le meilleur instrument de paix. J'ai vraiment cru, peut-être pour la première fois, à la réalité de cette vocation: écrire des livres.
Si vis pacem lege librum, comme dit le fameux T-Shirt des éditions Xenia…