Le miel apparaît ici progressivement comme le fluide universel, nourriture, remède, liant entre les gens, monnaie d’échange, permet de passer les frontières, d’éviter les conflits ou de les arranger. Il est ce qu’on appela l’amour universel, l’interface mais seulement parce quil est produit par d’honnêtes abeilles et un apiculteur respectueux de l’environnement dirait-on dans le langage barbare d’aujourd’hui pour désigner l’attitude qui naguère était normale, le respect de l’autre, du temps, de la vie, du travail bien fait, de soi, de l’honneur, de la responsabilité. L’expression même monnaie d’échange est discutable, il ne s’agir pas de celle qui est produite à tirelarigot par les banques centrales, mais de ce troc ordinaire de toutes les civilisations premières.
Situé dans ce qui fut brièvement la Yougoslavie, ce bref récit lumineux éclaire nos vies d’Occidentaux intoxiqués et nos erreurs sans moralisation au carrefour de deux mondes, l’ancien et le nouveau, l’Occident et l’Orient, l’anarchie douce et l’ordre étatique, la campagne et la ville. Il met en scène des personnes, le vieux, la guérisseuse et des comparses qui sont élevés par ces personnes à un niveau auquel ils ne pensaient pas appartenir, les fils et même le narrateur qui reprend confiance dans l’humanité. Il cite le père de Foucauld : « Nous faisons plus de bien par ce que nous sommes que par ce que nous faisons. » Ou, là où la grâce abonde, les actions surgissent et s’enchaînent heureusement, c’est toute l’histoire de ce récit.
En filigrane de ce road movie soft, on frôle le drame mais par antiphrase avec le road movie américain qui finit dans le meurtre et le sang, le miel magique fait que l’on franchit miraculeusement toutes les étapes, malgré les guerres, les interventions américaines justement, qui agitèrent le pays morcelé et les populations déplacées, et les plaies lentes à guérir et la méchanceté réveillée par ces évènements. Une affirmation que le bien peut triompher du mal au moins parfois, au moins provisoirement, au moins le temps d’un livre. Une communion rédemptrice par le miel. Un livre merveilleux.

PYL